Un nouveau concept : la consultation sélective !
La municipalité de Louveciennes vient d’inventer la consultation sélective: intense pour les sujets mineurs comme de savoir comment aménager le site de l’Etang Sec, vaguement participative dans le carcan des obligations légales pour la révision du PLU, inexistante dans le cas des plans de circulations en dehors d’une réunion publique où les choix préprogrammés sont exposés bien longtemps après la fin de l’enquête publique du PLU. Aucune association n’ a été invitée avant les décisions d’urbanisation forcenée, avant l’élaboration d’une kyrielle de sens interdits où nos élus se cachent derrière un faussement pudique : « rien n’est encore décidé ». L’observateur rationnel ne peut donc qu’être surpris, voire choqué du spectacle de l’incohérence de la décision publique à Louveciennes en matière d’aménagement des sites patrimoniaux remarquables, de PLU et de plan des circulations et de places de stationnement. Dans le cas de l’aménagement de l’Etang Sec on apprend sur le site de la mairie que :
« Le comité de quartier Bois et Coteaux et la municipalité souhaitent revaloriser le site de l’Etang Sec qui se trouve à l’entrée de la forêt de Louveciennes. Ce site est une zone naturelle protégée. Par ailleurs, il est géré par l’Office National des Forêts : tous les projets devront leur être soumis pour avis et accord. Les aménagements seraient financés par la commune de Louveciennes. La municipalité a également en charge l’entretien de la zone et de ses aménagements. Le projet consisterait à redonner vie à un lieu ayant pour vocation d’accueillir toutes générations, en préservant impérativement le caractère naturel de cet espace. »
Et d’annoncer sur le même site : « Merci de prendre quelques minutes pour répondre à ce questionnaire qui nous permettra de mieux connaître vos habitudes et vos attentes. L’ensemble de vos réponses seront analysées par des bénévoles du comité de quartier Bois et Coteaux et les résultats seront publiés sur le site internet de la Mairie. »
On aurait pu imaginer dans un monde meilleur qu’une telle utilisation d’un questionnaire eusse été faite pour les aménagements du Cœur Volant dont on a passé le Comité de quartier aux oubliettes ! Ne parlons pas des vergers des Rougemonts de peur de rendre obsolète voire ridicule le plan d’aménagement durable du PLU !
Le problème est que la décision « publique » est en fait celle d’un système multi-acteurs. La décision peut être irrationnelle même si chacun de ses acteurs est individuellement parfaitement rationnel, comme Condorcet en a déjà apporté la preuve il y a plus de deux siècles. Le paradoxe des votes de Condorcet porte sur l’agrégation des préférences individuelles dans un cadre très général. Quand on parle d’urbanisation et de circulation on traite d’un processus dynamique. La nature des projets d’urbanisation forte d’un village historique au passé prestigieux rajoute à la difficulté de la décision collective celle de la prise en compte du temps long. Les projets d’urbanisation s’insèrent en effet dans la durée, celle de leur conception, de leur mise en oeuvre, de leur cycle de vie. Les constructions des Plains Champs sont à peine terminées, les constructions des tennis de Voisins pas encore commencées, les projets de logements de la rue de la paix à Voisins en devenir avec 27 places de parking prévues avec une entrée au milieu d’un rue de Voisins particulièrement étroite, en gestation avancée et l’on veut chasser la circulation de transit en programmant la paralysie de Louveciennes.
A l’évidence, pratiquer la consultation sélective, sur des sujets aussi importants risque d’empêcher l’émergence de convergences parmi les habitants de Louveciennes et les élus, avec la perspective de se retrouver dans une situation de tension dans les prochains mois, faute de consensus patiemment travaillé et partagé. Les habitants de Louveciennes, et une association comme RACINE sont prêts à participer à une réflexion approfondie sur le devenir du logement, notamment social et sur le principe d’un éventuel plan de circulation mais dans des délais sérieux et raisonnables, qui permettent d’aller au fond des dossiers par la pratique de procédures participatives sérieuses qui puissent ensuite faire l’objet d’une vraie concertation.
Rappelons en nous appuyant sur l’avis adopté par le Conseil économique et social au cours de sa séance du 21 juin 2000 que les procédures participatives n’ont pas pour effet de conduire « à une démocratie directe » et ont le plus souvent une portée consultative. Mais elles enrichissent la démocratie classique par l’écoute qu’elles favorisent. Elles sont un moyen de dépasser la simple défense des intérêts particuliers pour faire émerger l’intérêt général. Elles permettent d’impliquer le citoyen sous tous les aspects : électeur qui exprime son opinion sur la vie politique, contribuable qui paie ses impôts, usager des services publics.
On peut distinguer quatre phases dans les procédures participatives :
- D’abord, l’information, qui constitue le premier degré de la citoyenneté et de « la pédagogie de la participation », permet aux élus de mieux évaluer les attentes locales (information ascendante) et de faire connaître aux habitants le contenu des décisions prises (information descendante). L’attention apportée par les élus et par les administrations à la demande des habitants sur des problèmes locaux est révélatrice d’un esprit plus ou moins ouvert à la démocratie participative.
- Ensuite, la consultation – la compétence des habitants étant considérée comme « une ressource » – permet de recueillir un avis dont l’élu tiendra compte ou pas, mais qui servira au minimum à éclairer sa décision.
Les élus consultent soit de façon obligatoire (enquêtes publiques) soit de façon facultative (décidée par les pouvoirs locaux). Les habitants appelés à exprimer leur opinion ont ainsi la possibilité de se faire entendre. C’est à ce niveau qui se situe très en amont des processus décisionnels, que les élus s’engagent dans la voie des compromis et des « marchandages » avec des groupes locaux organisés.
La qualité de la consultation dépend de la politique de communication et d’animation sociale, révélatrices du plus ou moins grand esprit démocratique du pouvoir local. Cette consultation implique en tout cas que le citoyen, puisqu’il a été interrogé, obtienne lui aussi une réponse sur ce que feront les élus in fine.
- La concertation, qui constitue le troisième degré, implique l’association des habitants à l’élaboration et au suivi d’un projet, qui s’insère souvent dans des structures de type commissions mixtes extra municipales, de conseils ou de comités de quartier.
L’autorité locale reconnaît aux habitants « un pouvoir d’expertise » pour des questions qui les concernent, au même titre que les professionnels. Le pouvoir local considère les habitants comme « un gisement de créativité et de dynamisme social » dont les interventions enrichissent l’approche des thèmes et leur permettent de prendre une décision en meilleure connaissance de cause.
Aucune des trois premières techniques n’entraîne un réel déplacement du pouvoir de décision, qui reste concentré – ce qui est légitime – entre les mains des élus :
– les comités ou conseils de quartier n’ont qu’une fonction d’information et de consultation ;
– l’enquête publique dont l’organisation demeure insatisfaisante peut rester parfois formelle ;
– les référendums locaux n’ont pas de caractère décisionnel.
Même si les électeurs n’expriment qu’un simple avis sur ce qui n’est juridiquement « qu’un projet de décision », les élus ne sauraient faire abstraction de la volonté ainsi exprimée. Le pouvoir des élus n’en reste pas moins formellement préservé, ce qui contraste évidemment avec la pratique référendaire en Suisse, même si elle est variable selon les cantons.
François ARLABOSSE
Président de RACINE